Kirghizistan - lac Son Kul
- hmargaux
- 26 juil.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours
Le matin de notre départ d'Ouzbékistan, un chauffeur de taxi avec qui nous avions sympathisé la veille nous attend. Nous discutons avec lui, ses frères et sœurs vivent en Russie. La Russie veut envoyer son frère sur le front Ukrainien ; ils sont nombreux à combattre là-bas. Il nous montre son école et nous dit que la vie ici est difficile.
A la frontière, il refusera notre argent. Il a passé un bon moment avec nous, il nous a trouvé gentils et il veut que l'on prenne son refus comme un geste d'amitié. On insiste un peu mais rien à faire, il ne veut pas. On le remercie chaleureusement et nous voilà à quitter l'Ouzbékistan sur cette note amicale et affectueuse.

Une autre aventure nous attend désormais, totalement différente, un autre voyage dans le voyage. Nous allons traverser le Kirghizstan. Plus de ville, uniquement de la montagne ; des montagnes et des steppes.
Cela fait des mois que je discute avec Shadmon qui sera notre chauffeur pour notre séjour ici. Impossible de louer une voiture où nous sommes, il nous aurait fallu remonter à la capitale, Bichkek, par avion, ce que je ne voulais surtout pas, ou pas bus, ce qui nous aurait prit plus de 10 heures.
Moi qui aime me débrouiller toute seule, je me suis dit qu'avoir un Kirghiz anglophone avec nous serait plus simple pour créer du lien. On ne sait pas s'il sera là, avec quelle voiture.
Il vient à notre rencontre à peine nos premiers pas réalisés sur le sol kirghiz et alors même que nous sommes déjà entourés par une dizaine de chauffeurs de taxi.
Il a le visage rond et jovial, sa voiture est un van Toyota où miracle ! Nous avons un siège chacun. J'avais insisté sur ce point car je savais que nous aurions des dizaines d'heures de trajet dans ce pays. Mais je suis quand même étonnée que ça ne soit pas un 4x4 vu les routes que nous allons prendre. Bon, faisons confiance.
Shadmon est gentil et prévenant, il nous a acheté de l'eau. Il nous emmène à un "grand" supermarché, l'équivalent d'un Franprix de chez nous. On y achète quelques provisions pour la suite du voyage, et je tire de l'argent en quantité suffisante.
Il y a 1h de plus ici ; on file manger et à 15h j'active tout le monde car le trajet est encore long.
Au bout de 30 min, la route devient piste, avec des gros cailloux. Je me demande si Shadmon connait cette route car j'ai l'impression que son van va ressortir tout cabossé. 15 minutes après, un bruit bizarre, Shadmon qui regarde par la fenêtre et lance un "oh shit" : un pneu arrière explose.

Changement de roue et on continue, moyennement sereins. Il nous reste 5h de route sur un pneu de secours, plus le droit à l'erreur. La route passe entre les montagnes, elle est splendide. On monte, on monte, la piste serpente entre les cols.



On observe de nombreux chantiers sur la route, des Chinois qui ont construit des villages entiers pour les travailleurs de ces montagnes. Des esclaves modernes.
La route est large, mais ce sont des pistes et avec le van nous n'allons pas vite.
On discute avec notre chauffeur qui commence sa nouvelle profession après avoir été officier de police pendant 2 ans. Il n'a jamais pris cette route, il demande parfois son chemin. Il roule très bien, une conduite fluide sans freinage intempestif.
Au bout de 6h de route, nous arrivons à la nuit tombée dans le village de Kazarman. Je savais que la route pour les steppes était très très longue, j'avais prévu une étape dans ce village pour couper la route. Shadmon nous négocie une chambre dans un hôtel, un plat dans un petit restaurant et nous allons dormir. Rendez-vous demain matin à 10h pour le départ ; cela laisse le temps à Shadmon de trouver un petit garagiste de montagne pour changer son pneu.
Mais à 10h il n'est pas là, 10h30 non plus. Il nous dit qu'il a du mal à trouver à changer sa roue. On patiente car de toute façon, on ne peut rien faire d'autre. Apprendre à lâcher prise.
On repart. La route est toute neuve mais dangereuse. Sur certaines portions, des énormes éboulements coupent totalement la route.

Les paysages sont splendides. A chaque virage, une nouvelle montagne apparait, tantôt ocre, tantôt anthracite. Parfois même on observe des rochers verts. D'autres fois encore la terre est rouge. Avec celle du Monténégro, c'est la plus belle route que je n'ai jamais prise. On en prend plein les yeux !



Parfois les montagnes sont toutes arrondies, comme si un voile les enveloppait. Virage suivant et les montagnes sont dentelées. On ne fait que de s'extasier. On longe la rivière Naryn, large et boueuse qui coule en contrebas des montagnes. Tout d'un coup, chose incroyable, 2 rivières coulent dans le même lit, mais dans 2 sens différents ! L'autre rivière est bleue claire, et c'est celle que l'on continue de longer.

Puis on commence à s'éloigner des montagnes. Il est 14h, on fait halte à un village pour acheter de quoi pique-niquer.
On voit Shadmon s'agiter un peu. Il regarde la route sur son téléphone : son manque de vigilance le fait monter sur un trottoir, à l'entrée d'un village. "Oh shit" : un autre de ses pneus éclate.
Running gag mais on rit un peu jaune. On sait qu'on n'arrivera pas aux yourtes avant la nuit, et surtout on se rend compte qu'il n'a pas préparé la route. Il ne sait pas par où passer. Il nous dépose au bord d'une rivière pour pique-niquer et revient nous chercher 1h30 après, une roue neuve.
Damien lui explique avec beaucoup de gentillesse qu'il doit davantage communiquer avec nous ; qu'on se rend bien compte qu'il n'a pas préparé la route, alors même qu'on échange depuis des mois, et que si le pneu crevé d'hier était la faute à pas de chance, l'incident d'aujourd'hui aurait pu être totalement évité avec une meilleure préparation. Et qu'on a malgré tout de l'empathie pour lui car payer coup sur coup 2 pneus dans des villages isolés ce n'est pas du tout la même chose que s'il les avait acheté à Bichkek, la capitale, où il vit.
Son manque de préparation lui fait perdre de l'argent. Il nous confirme qu'effectivement il n'a pas préparé, et il s'excuse pour le retard pris.
On se remonte le moral avec des paroles positives, que rien n'est grave, que c'est les aléas du voyage, que nous allons bien. Nous parcourons les steppes pendant des heures, sous la lumière changeante de l'après-midi. Le ciel est bleu éclatant. Sans la crevaison, nous n'aurions jamais vu ces paysages là, à cette heure où le soleil faiblit progressivement tout en redoublant d'intensité lumineuse.
Nous commençons à voir des yourtes qui s'égrainent comme des petits cailloux blancs, et des troupeaux de chevaux. Nous n'avons jamais vu autant de chevaux à un même endroit, et les troupeaux de moutons sont immenses !

On dirait des petites fourmis et avancent lentement en procession. On traverse des petits ruisseaux, la température baisse. Nous avons déjà perdu 20 degrés. Tout autour de nous, des prairies à perte de vue, et soudain, le lac Son Kul. C'est le moment où la piste finit. Il n'y a plus de route, quelques vagues traces dans l'herbe. Il reste 17km, soit 1h15.


Nous arrivons au camp à 21h et je suis soulagée d'y être avant qu'il fasse nuit noire. Il fait 9 degrés.
Mon récit est long n'est ce pas ? J'essaye de vous faire revivre la longueur de notre trajet pour arriver au lac Son Kul, à 3000 mètres d'altitude. Nous avons mis 2 jours entiers pour y parvenir.
Dinara nous accueille dès que la porte de la voiture s'ouvre, très chaleureusement, et nous invite à manger sous la yourte. Toute sa famille vient nous saluer, les enfants, les hommes et le grand-père de 67 ans (après bonjour et comment tu t'appelles, on me demande mon âge)


Des pommes de terre et du ragout de mouton accompagné de litres de thé. Je crois que dans ce pays personne ne boit d'eau.

Le froid est mordant et le mari de Dinara nous allume le poêle dans la yourte. En attendant qu'il chauffe, nous allons observer le ciel étoilé. Il rivalise avec celui que nous avions vu, Damien et moi, dans le désert du Haut-Atlas marocain il y a 20 ans.
Quelle merveille ! Nous observons d'innombrables constellations, et la voie lactée. Il n'y a aucune pollution lumineuse et le ciel est parfaitement dégagé.

Le poêle, chargé en bouses de vache séchées, a réchauffé la yourte et nous nous endormons sous les étoiles.

Est-ce l'altitude, la dose de thé, l'excitation ou le silence de la steppe ? Je dors très mal et je me lève à 5h pour admirer le lever de soleil. Quel spectacle mes amis ! On se rend compte que le lac est bordé de montagnes. Les animaux s'éveillent eux aussi. On entend des vaches meugler et on voit des chevaux galoper, libres comme l'air. Je dis on car j'ai réveillé Damien et Kymia assister à ce spectacle.


On passe la matinée seuls au camp avec la famille de Dinara. Nous faisons tous ensemble avec Shadmon une partie de volley, on essaye de photographier mentalement ce paysage incroyable.

Le temps étant toujours beau on décide d'aller se baigner. Il y a quelques nuages blancs aujourd'hui qui rendent le ciel en perpétuel mouvement.

La température est idéale et l'eau limpide, on se rafraîchit avec délice pendant que Shadmon va ceuillir des fleurs pour faire le thé. Il a bu trop de koumis, du lait de jument fermenté, hier soir et, oh shit, il a de la tension ce matin. Le goût du koumis est surprenant ; Milan le décrit comme du lait au citron pétillant. Il paraît qu'en boire en trop grande quantité a les mêmes effets enivrants que l'alcool !

J'aimerais me rappeler pour toujours de ce lac et de la sensation de sérénité qui s'en dégage.

Pendant des heures des troupeaux de vaches ou de chevaux viendront boire tout près de nous et repartirons plus loin dans la steppe. Je suis fascinée par le bruit des galops des chevaux et encore plus par ceux des vaches. Le bruit de leurs sabots dans la terre est définitivement un de mes bruits préférés au monde.


La vie des animaux ici, libres, au grand air, passant leur journée à boire et à manger me ramène à mon plus simple état de mammifère. Les besoins primaires ici, et la dépendance à la météo. C'est tout. Rien ne peut nous polluer l'esprit, le seul spectacle ici c'est la nature.



Il n'y a aucun réseau. Ni électricité, ni eau courante.


En rentrant au camp, d'autres voyageurs sont arrivés : 2 filles suisses qui campent, un couple de japonais et leur petit garçon, un couple d'allemands et un danois qui voyage à vélo. On discute et on se refile les bons plans pour la suite.

On prévoit une sortie à cheval pour le lendemain matin car c'est un peu l'activité phare ici.
Après le petit déjeuner, le mari de Dinara est en train de préparer les chevaux. Son frère est parti chercher un magnifique cheval noir dans la steppe, qui est très agité. C'est un cheval qu'ils commencent à dresser, il passe son temps à hennir et tout le troupeau arrive au galop avant de repartir et de revenir. On se prépare aussi, je ne suis pas très sereine. Pas de bombe ici, et notre guide et son frère ne parlent pas du tout anglais.
Il monte Billie sur le cheval avec Damien, qui n'a jamais fait de cheval. Au dernier moment Billie veut descendre, elle reste au camp avec Dinara.
Le danois, qui est parti avec nous, voit son cheval partir au galop soudainement. Le guide le rattrape avec son cheval blanc qui met des coups de sabot à n'importe quel cheval qui l'approche.


Nos chevaux sont assez fougueux, s'approchent les uns des autres, j'ai envie de faire demi-tour...tout d'un coup le cheval de Kymia part au galop, la selle glisse, je vois Kymia glisser sur le côté, crier qu'elle va tomber. Elle tombe effectivement, je me rappelle qu'on n'a aucun réseau, je la vois au sol, elle relève la tête mais ne se relève pas. Mon cheval fait que de bouger la tête et je n'arrive pas à l'arrêter.
Kymia est lourdement tombée sur la hanche, elle a vraiment mal mais elle remonte et on continue. Le guide accroche son cheval a celui de Damien mais 10 minutes après le cheval de Kymia a un nouveau de folie et entraîne l'autre cheval. Damien réussi à calmer les chevaux mais c'est trop pour nous. On ne profite pas du moment, on n'est pas sereins, on décide de rentrer. Kymia rentre à pied, mon cheval est à la traîne, je le sens nerveux, il bouillonne d'envie de partir au galop. Je n'arrive même pas à l'arrêter. J'appelle le guide et je lui dis que je veux rentrer à pied. Je finis donc cette balade avortée à pied avec Kymia qui a très mal à la hanche. Le danois veut aussi rentrer car il a encore 14 jours à faire à vélo et il ne peut pas prendre le risque de se blesser.

De retour au camp, le japonais va voir Damien et lui demande si Milan a déjà fait du cheval car il a fière allure et une bonne posture : Milan a bien apprécié sa balade et son cheval était bien calme par rapport aux autres.

Je soigne Kymia et on débriefe un peu. On a tous eu peur et on est secoués de l'expérience. On se dit en boucle qu'heureusement que Billie n'est pas venue, que Kymia n'est pas tombée sur une pierre ou sur la tête...
Après le repas on nous invite à assister à un match de kok boru, le sport national kirghiz, dans le camp d'à côté.

C'est un peu comme un match de foot, dans une version guerrière, à cheval et avec un cadavre de chèvre décapité en guise de ballon. Oui je sais c'est vraiment horrible mais imaginez que moi j'ai vu la chèvre décapitée passer de cheval en cheval...

Cette joute de cavaliers est vraiment spectaculaire. Les hommes montent à cheval presqu'avant de marcher. Nous avons vu des enfants sur des chevaux, en chaussettes, sans selle. Ce sont d'excellents cavaliers ; il faut les voir traverser la steppe au galop ! La définition même de la liberté.
Ensuite ils font de la lutte et les billets passent de main en main en fonction du gagnant. Nous assistons aussi à un combat d'udarych, de la lutte à cheval. Impressionnant !

Dernier jeu, le tiyin enmei au cours duquel les cavaliers doivent ramasser un caillou par terre sur leur cheval au galop.

On comprend alors que les chevaux sont dressés de façon assez rigide ici et que nous étions vraiment trop doux avec eux. Les jeux sont assez violents et les chevaux habitués à s'affronter. Ils restent des chevaux presque sauvages des steppes qui déambulent librement dans les pâturages la majorité du temps.

La pluie mettra fin au spectacle et chaque homme rentre dans son camp avec son cheval. Nous avons eu beaucoup de chance d'y assister car ces rendez-vous ne sont pas réguliers, d'ailleurs je me demande comment les hommes se donnent rendez vous puisqu'ils n'ont pas de moyen de communiquer.

On rentre au camp pour notre dernière soirée dans les steppes.
Ce fut une expérience inoubliable. Les paysages incroyables, la lumière changeante à toute heure, les troupeaux d'animaux en liberté, le ciel étoilé.

J'espère réussir à garder dans mon cœur et ma mémoire pour toute ma vie ces images. La pureté du lac, le regard de mon cheval, l'orage de l'autre côté du lac et Cassiopée dans le ciel. Le soleil se levant sur les yourtes, le sol vert et doux comme un tapis, les nuages roses du soleil couchant sur les yaks.

Je ne pensais jamais vivre ça un jour, ça ne m'avait même pas traversé l'esprit. Mais c'est aujourd'hui une des plus belles expériences vécues. La route fut si longue pour y arriver...ça valait tellement le coup.
Je pense qu'on a touché du doigt à la liberté.

La liberté pure.

C’est superbe!
Merci!
Un voyage trépidant qui me fait un peu penser au Laddakh, avec des montagnes multicolores. Des gros bisous à tous, j'espère Kymia remise
Oh ! Quelles émotions de te suivre dans ce périple ! J'espère que Kymia va mieux et ne souffre plus de sa hanche !